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Malek Haddad

Le malheur en danger

(Poésie) - Julliard, Paris, 1956

Les recueils poétiques de Malek Haddad sont tous deux précédés d’une introduction. La première intitulée « A mon ami le poète algérien » accompagne Le Malheur en Danger. Dans une sorte de soliloque, le poète essaie de faire un bilan, de se définir, de comprendre car nous dit le poète : « je sais, tu te demandes si ton poème vaut bien une chanson plus dure. L’important n’est pas là. L’important, il se loge dans ton cas de conscience. Tu as compris que l’incompatibilité n’existe pas entre un stylo et une chanson plus dure.
Tu es secoué par l’histoire dans la mesure noble où tu te sens le droit de la secouer. Un peu cette émotion devant les arbres dont il faudra couper les branches pour faire des crosses de fusil.
Rien n’est beau que la Paix… » P.9.

Le Malheur en Danger est un texte qui mène droit au cœur du drame. C’est peut-être l’art poétique le plus dense qui fut jamais écrit. Le poète ne se pose pas en chantre de la révolution ou en défenseur d’un pays opprimé. Il entend simplement traduire les mouvements de son âme.

Le malheur de la patrie, la mort de ses « copains », la haine de la violence sont exprimés subtilement car Malek Haddad veut donner congé aux valets du malheur :

« Il était une fois là-bas
dans mon pays
Il était un garçon
Qui
Voulait un ballon.

Mon petit camarade
Il avait des yeux ronds comme la terre
Maintenant qu’il est mort
- On l’a tué dans sa prison –

Quand je vois des ballons
Maintenant qu’il est mort
Qu’il est mort sans son ballon
Je doute à tout jamais que la terre soit ronde

Je n’ai de tâche qu’à remplir
Et puis la terre à écouter … » PP. 33-34

Le sentiment de l’exil se rattache à un bonheur perdu dans l’éloignement de ses souvenirs :

« J’étais venu en trombe
Je repars goutte à goutte

Plus je vais je m’en vais
Donnant raison aux imbéciles


On meurt d’avoir vécu

Un poète est ici
Un poète est là-bas

C’est bête de mourir
Si loin de son tombeau. » P. 35

Cette patrie trouve une symbolisation dans le thème de la mère qui sert, justement, à traduire aussi bien l’attachement à une terre lointaine qu’à un passé de l’enfance où régnait une certaine douceur.
" J’ai Toujours Écrit Pour Mériter Ma Mère "
Ma mère est toujours belle
Je l’accompagne tous les jours

On l’appelle colombe
Mais en arabe est son prénom ». P. 38

Dans certains poèmes, le poète trouve ses accents les plus sincères et les plus touchants dans l’évocation de l’enfance. Il semble y rechercher une pureté, une innocence dont il sent qu’elle peut le préserver du malheur. Et c’est la même pureté protectrice qu’il demande à l’amour : « d’écouter cette nuit que par chez moi l’on saigne ». P.91

« Demain la pluie sera pour toi
Dans Alger page blanche en lettres capitales
Je crierai Jamila ». P.63

« L’amour » nous précise Haddad « est sa façon d’approcher Dieu ». P62

Le chant du poète n’a pour se justifier que la beauté de sa musique, il lui fait adresser à la force divine une très belle prière :

« Je suis venu vous voir mon Dieu ».P.94

L’expression garde une grande force. L’auteur est à l’aise dans la familiarité du mot et des images, les mots symboles. L’humilité, le désir d’amour, la croyance en le verbe poétique s’y expriment avec un rare bonheur. Un aspect particulier de sa poésie, celui de l’humour né du paradoxe . Cet aspect s’affirmera surtout dans Écoute et je t’appelle. Il est déjà exprimé dans ce poème :

« Je suis très malheureux quand les bouquets se trompent

mais dès lors qu’une fleur ait l’idée de maudire
enfin les herboristes
alors je suis content
comme l’oiseau qui se voit refuser
l’admission au conservatoire ». P51

Sensible à la musique du mot comme les grands poètes, Malek Haddad occupe incontestablement une place appréciable dans la poésie algérienne.

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Les poésies de Malek Haddad oscillent de nouveau, dans ce deuxième recueil, entre engagement et liberté, amertume de l’exil et nostalgie d’un bonheur perdu.

Nous sommes quelques uns à
demeurer vivants
Et désormais je dirai tout :
Mon copain mes copains
Ma longue litanie
Ceux qui mangeaient du jour
Quand je vivais de routes bleues Mon copain mes copains
Aux gestes délicats
Vous aimiez bien la ville aux pavés
qui reluisent
On m'a tout dit de vous pour me rendre jaloux
De m'ennuyer partout
Où vous n'êtes pas là. ...
J'ai tellement d'amis
que mes doigts s'impatientent
que deux yeux
Puisqu mon cœur a mal au lieu
de mieux se battre
Puisque j'ai mal
Quand ils font mieux.
J'avais tant de copains dont les noms se tairont
Pour qu'un poète ait la parole
Ces copains pleins de fleurs et qui disaient
Demain

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ILS VONT DANS LA LÉGENDE

Ils vont dans la légende
Et la légende ouvre ses bras

Je leur avais parlé
J'avais senti leur main
Ils avaient des enfants et même des défauts
Comme ils savaient sourire alors qu'il faisait nuit

Je les retrouve en achetant
Un journal
Ils étaient mes amis ils n'étaient pas des mots
Des chiffres ou des noms
Ils étaient mille jours et dix ans de moi-même
Le repas qu'on partage
La cigarette de l'ennui
Ils savaient mes enfants
Je leur donnais tous mes poèmes
Ma mère aimait leur coeur
Ils étaient mes copains
Je leur avais parlé

Ils vont dans la légende
Et la légende ouvre ses bras
Et ils sont devenus une âme et ma patrie
Je ne verrai jamais mon copain le mineur
Son sourire éclairait son regard d'amertume
Mon copain le boucher et l'autre instituteur

Et je m'excuse
D'être vivant
Je suis plus orphelin qu'une nuit sans la lune

Ils vont dans la légende

Et la légende ouvre ses bras...

 
  © 2006   - Par TADJENANET au service de la culture.